Avoid complicated steps on a small dancefloor

L’importance de la gestion de l’espace en bal

Il y a des sujets vraiment importants, qu’il faut parfois aborder au risque de sonner moralisatrice, et ça va être le cas aujourd’hui. Hier, j’étais en bal et, comme dans tous les bals, tous les festivals, et toutes les danses sociales, il y a eu des problèmes de gestion de l’espace. Des personnes ont renoncé à danser certaines danses faute de place, d’autres se sont fait marcher sur les pieds ou pris un coup de coude… En somme, une situation absolument banale et récurrente dans les bals surpeuplés, qui concerne tout le monde et pourtant évitable avec un peu de technique et de bonne volonté. Décryptons ensemble les mystères de la gestion de l’espace en bal.

Moi, quand je m’apprête à faire la morale à des danseurs qui me marchent littéralement sur les pieds

C’est quoi la gestion de l’espace ?

La gestion de l’espace en bal, c’est l’effort individuel et collectif d’évoluer sur le parquet en optimisant l’espace disponible de manière égalitaire afin d’assurer le confort et la sécurité à tous les danseurs.

Nous avons un nombre fini de danseurs évoluant dans un espace restreint, et cet espace peut être géré de plusieurs manières : par la circulation ou la mise en place de lignes de danse. Plus les gens gèrent leur espace, en gardant le contrôle sur l’expansion de la danse, plus on met de danseurs sur le parquet, et plus c’est agréable d’y danser. Une bonne gestion collective de l’espace permet d’éviter les encombrements, les collisions, et d’amener davantage de gens à la danse. C’est tout bénef.

Je constate parfois que, si le message est largement diffusé par les enseignants de la danse (autour de moi en tout cas), il est pourtant tièdement appliqué sur les parquets. Est-ce que les gens ignorent qu’il faudrait circuler et adapter leur danse à l’espace disponible ? Est-ce qu’ils le savent, mais n’ont pas la technique pour le faire ?

Mon avis personnel est que le message des organisateurs et des transmetteurs n’est pas suffisant aujourd’hui, s’il n’est pas adopté par l’ensemble de communauté et diffusé à son tour par la masse des danseurs.

Pour faire connaître ces principes, en plus de l’enseignement, plusieurs possibilités existent allant du bouche-à-oreille, de l’affichage dans l’espace de danse, de la production de matériel pédagogique (vidéos, articles) jusqu’à la mise en place de chartes.

Les paramètres de la gestion de l’espace

Mais la gestion du parquet, qu’est-ce que c’est ? Plusieurs paramètres rentrent en compte :

  • Le sens du bal
  • Le respect des lignes de danse
  • La coexistence de plusieurs formes de danse simultanées (au bal folk)
  • L’adaptation des danseurs à l’espace de danse disponible

Et pour y arriver, il faut une certaine maîtrise technique à acquérir. Voyons cela.

La circulation et le sens du bal

Le bal circule, mais dans quel sens ? Cela dépend de la danse. Pour les danses de couple, du bal folk (valse, mazurka, polka, scottish) ou du tango, les danseurs évoluent dans le sens antihoraire / le sens inverse des aiguilles d’une montre / le sens trigonométrique. Par ailleurs, certaines danses du bal folk circulent dans le sens horaire (le rondeau en couple, les danses en chaînes et la plupart des rondes). Bien sûr, certaines danses n’incluent pas de circulation collective, ce qui ne les exclut pas cependant de la nécessité de gérer l’espace disponible.

Dans les cas où l’usage est d’avoir un sens du bal, sa mise en place comporte quelques règles implicites, telles que :

  • Ne pas circuler à contre-courant
  • Ne pas reculer, il faut toujours avancer (ou, comme dirait mon prof de tango « un pas arrière, c’est le max »)
  • Les personnes souhaitant faire du sur place ou évoluer plus lentement doivent aller au centre du parquet pour que les autres danseurs puissent circuler sur l’extérieur.

Au tango, par ailleurs, il existe des règles supplémentaires :

  • Il est irrespectueux de doubler ou de changer de ligne
  • Une prise en compte de la zone d’entrée dans la danse (comment mieux s’insérer dans le flux de danseur)
  • Le contrôle de l’espace à chaque fois qu’on fait un pas arrière ou qu’on envoie sa partenaire traverser la ligne arrière
  • Il faut s’excuser quand on percute quelqu’un

Vous l’aurez compris, l’idée de la circulation, c’est qu’elle doit être respectueuse, organisée et maîtrisée. Il ne s’agit pas de zigzaguer entre les danseurs pour avancer le plus vite possible. On parle donc de respect de la ligne de danse. Je suis dans une file, et j’y reste.

D’où ma sacro-sainte règle personnelle : s’il y a un grand vide devant toi, c’est qu’il y a un embouteillage derrière toi.

Le respect des lignes

Bien sûr, toutes les danses n’ont pas une circulation collective. Le bal folk notamment a de nombreuses danses qui ne circulent pas. Pour autant, le partage de l’espace de danse n’est pas exempt de règles pour autant.

La gestion de plusieurs modes de danse en simultané

Concernant les danses de type bourrées, on a vu fleurir récemment les bourrées à 6 suite aux très populaires (et incroyables) stages de notre ami Bernard Coclet. Auparavant, la brande d’Ardentes (bourrée en cercle) avait vécu ses heures de popularité, et toutes ces formes coexistent avec la bourrée droite à deux danseurs. Pour éviter les accidents, il devient nécessaire que tous les danseurs, y compris les néophytes, soient avertis de la nécessité de rester sur sa ligne de danse.

La ligne de danse est perpendiculaire aux musiciens (pour qu’ils ne voient pas que nos derrières). Elle ne doit pas pivoter sur elle-même en cours de danse. Elle ne doit pas non plus empiéter sur la ligne de danse des danseurs voisins, et à fortiori s’ils dansent une forme différente.

Il en va de même pour la version en cercle. La forme de déplacement a tendance à faire grossir le cercle au fil de la danse, et ainsi à phagocyter les lignes à proximité.

Certains festivals, comme Cadansa, on mit en place un système où des bénévoles se rendent sur la piste pour contenir le cercle et l’empêcher de grossir. Au-delà de l’effet impressionnant (et efficace) d’un tel dispositif, je regrette qu’il faille en arriver là, et je déplore la charge mentale et la logistique nécessaire à la mise en place d’un tel système.

Concernant l’improvisation en couple durant les danses en chaîne, on assiste ici aussi à la coexistence de plusieurs modes de danse en simultané. Vous aurez sûrement vu des couples danser au milieu de chaînes de Gavottes de l’Aven / Grenoble ou d’Anter-Dro.

D’où ma sacro-sainte règle personnelle : je laisse la priorité de l’occupation de l’espace à la danse annoncée par les musiciens et je trouve un endroit qui ne les gêne pas pour danser.

PS : votre « ligne de danse » est en fait un rectangle. Elle a aussi un fond, vous ne pouvez pas reculer à l’infini.

Où est Charlie ? Voyez-vous les deux filles qui se font percuter alors qu’elles dansent en ligne ? Et le bénévole qui protège les danseurs du fond ?

Petites rondes et grands escargots

Autre spécificité des bals folk, les rondes. Lors de la mise en place des différentes rondes et mixers, on constate souvent un petit moment de flottement, entre ceux qui ne savent pas, ceux qui veulent faire des petits ronds, les autres des cercles intérieurs, etc.

Voici donc quelques conseils en vrac :

  • Toujours s’assurer que le cercle est fermé
  • S’assurer que le cercle intérieur n’est pas plus grand que le cercle extérieur (et non, les gens du cercle intérieur ne dansent pas « mieux » que ceux de l’extérieur)

Cet été lors, d’une discussion à Gennetines, nous avons parlé longuement des codes du bal, et il en est ressorti plusieurs points pertinents :

  • C’est bien quand les musiciens annoncent « faites des cercles de 8 ou 10 personnes / couples », ça permet aux gens d’évaluer si leur ronde a la bonne dimension, car « petit cercle » n’est pas assez précis
  • La difficulté parfois à maintenir un cercle fermé à la pression des arrivants qui voudraient rejoindre une ronde

S’adapter à l’espace de danse disponible

Faire plus petit et apprendre à se déplacer

On aura beau verbaliser aux gens qu’il faut faire des petits pas, savoir se déplacer et réduire ses mouvements n’est pas inné. Bien souvent, on ne sait pas comment faire. D’où mon astuce pour les personnes qui donnent des initiations : il est bon d’expliquer aux gens comment faire pour circuler : s’orienter dans le sens du bal, regarder dans la direction voulue avant d’initier un mouvement, faire des pas plus grands ou plus petits en fonction de la direction prise…

Adapter sa posture

Concernant le bal folk ou le forrò, nous avons l’avantage de ne pas avoir de posture de danse figée, notamment en danse de couple. Cela nous laisse la possibilité, par exemple d’adapter notre cadre à l’espace disponible. Ainsi, dans un espace restreint, je vais tout simplement laisser tomber la main ouverte du couple, et danser avec le bras le long du corps.

S’il n’y a pas la place, je ne fais pas

Valable pour toutes les figures, dans toutes les danses. En tant que guideuse, si l’espace n’est pas suffisant pour effectuer une variante, je n’en guide pas. Enfin, si comme suiveuse on me demande une figure et qu’il n’y a pas la place ou les conditions sécuritaires ne sont pas présentes, je ne l’exécute pas.

Reculer en gardant un œil dans le rétroviseur

C’est l’un des principes de base de toute initiation : expliquer aux nouveaux venus dont la coordination et l’appréhension de l’espace environnant ne seraient pas affutés qu’il faut se méfier de tous les pas en arrière, quelle que soit la danse. Pris par l’émotion et la dynamique du moment, nous avons tous tendance à reculer à grands pas sans prendre garde aux personnes qui sont derrière nous. En bal folk, les terrains les plus dangereux sont ceux de la bourrée 2 temps et du rondeau en couple.

Donc, je m’efforce de toujours reculer à l’intérieur de ma ligne de danse, et éventuellement de faire des pas de recul plus petits. Pour la personne qui guide, il faut également contrôler l’espace disponible avant de guider une variante vers l’arrière.

Ne pas fermer les yeux

Cela va aller à l’encontre des préférences de bon nombre de suiveuses et suiveurs mais, malheureusement, fermer les yeux empêche de contrôler la piste. Deux paires d’yeux valant mieux qu’une, je garde toujours (presque) l’œil ouvert. Le contrôle de la piste ne devrait pas reposer que sur les guideurs et guideuses.

Gagner en technicité en gérant l’espace de danse

Pour qui chercherait à progresser techniquement en danse, c’est un axe majeur. C’est là qu’on touche à la beauté de la danse : pouvoir développer différentes techniques pour occuper les grands ET les tout petits espaces. Savoir pratiquer et adapter sa danse à la taille de l’espace disponible tout en gardant son dynamisme et sa créativité est un enjeu pour les danseurs confirmés.

Il y a d’ailleurs de nombreux contenus pédagogiques qui abordent ce sujet avec pertinence (le mot clef en anglais est Floorcraft). Pour ma part, si j’ai une piste à vous donner en danses de couple, ce serait de commencer par travailler la qualité de la connexion et les variations rythmiques.

Accepter que la répartition de l’espace soit équitable

La danse en communauté, ça implique qu’il n’y a pas que me, myself and I (et mon partenaire). Il n’est pas possible de se la jouer solo comme si les autres n’existaient pas ou que mon plaisir personnel de danse doive passer en premier. Aussi, je ne suis pas très fan du précepte « je danse et ça fera le vide autour de moi ». Adopter un style expansif, sur une musique particulièrement dynamique, c’est compréhensible, mais ce n’est pas toujours le meilleur choix pour le collectif. Aussi, je fais une petite introspection, et j’optimise mon espace pour garantir aux autres la même liberté de mouvement.

Faut-il éviter les variantes trop athlétiques ?

Faut-il pratiquer les portés et les tombés ou toute autre variante athlétique en contexte de bal ? La question est ouverte, je pense que cela dépend principalement de l’espace disponible et de la capacité des danseurs à l’exécuter en toute sécurité. Mon expérience personnelle me ferait dire que les deux conditions sont très rarement réunies, et qu’en conséquence, la plupart des portés devraient être réservés aux démonstrations.

Parer les coups

Ça va vous sembler évident (j’espère) mais, si vous voyez une personne reculer trop vivement vers vous ou votre partenaire, vous pouvez tendre la main et par une douce mais ferme pression faire barrage avant l’impact.

Personnellement, en danse de couple (par exemple en valse) il m’arrive très souvent de faire barrage de la main pour protéger mes partenaires de petites tailles. Bien souvent, leur tête est à la hauteur des coudes des autres danseurs. Donc, ne partez pas du principe que si vous êtes à l’abri des coups, les autres aussi !

Par ailleurs, si vous percutez quelqu’un, il serait utile de normaliser le fait de s’excuser et de s’assurer que les gens vont bien avant de reprendre la danse.

Dans le milieu du bal, nous ne sommes pas tous à égalité face aux risques de collision.

Consentement et réassurance 

Enfin, si vraiment votre partenaire n’a pas l’air à l’aise, si l’espace est décidément trop bondé, souvenez-vous qu’il est aussi possible d’arrêter la danse.

C’est le dernier recours, mais au 3e écrasage de pieds, ça peut être une solution salutaire. N’attendez pas que la personne vous dise qu’elle est mal à l’aise, ça peut être une bonne chose de vérifier régulièrement si votre partenaire se sent bien ou souhaite interrompre la danse au besoin.

Personne introvertie ayant décidé d’aller danser.

Un héritage historique

Pour finir, j’aimerais revenir sur le fait que cette notion de la gestion de l’espace n’est pas une invention moderne, mais a toujours fait partie de la culture de la danse et ça a notamment été formalisé dans de nombreux ouvrages du XIXe siècle. L’étiquette de la danse a toujours comporté tout un tas de règles de bienséance plus ou moins farfelues, mais dans laquelle le sens du bal ou le respect des lignes de danse va de soi. Sens du bal que l’on observe d’ailleurs très bien sur les vidéos d’archives.

Long dresses in the ball-room - 1872
Source : Library of Congress

Ce sermon arrive à sa fin ! Suis-je pour autant toujours irréprochable dans ma gestion de l’espace ? Clairement non. Toutefois, je crois fermement à la capacité de remise en question et à la force du collectif pour s’autoréguler. Les enjeux de gestion de l’espace sont CAPITAUX, et je sais que de nombreux danseurs partagent cette vision, car il s’agit d’un sujet d’utilité publique. Et plutôt que de le voir comme une contrainte, j’aime bien voir cet aspect sous le prisme du challenge, de la musicalité et de la technique pour rendre nos danses toujours plus dynamiques ! Bon courage à toutes et tous !