Définitions des roles de danse

Le vocabulaire des danses dégenrées

L’autre jour, je lisais cet article de Causette, Danse de couple : le coguidage, cette pratique qui pulvérise les rôles genrés, mettant en lumière l’enseignement du coguidage lors des cours de forrò toulousains. Je me réjouis de voir ce type de pratique fleurir dans les cours de danse et je suis intimement convaincue que l’ouverture des rôles de danse est une chose positive pour nos danses sociales.

Cependant, pour faire de la pédagogie sur la danse, je constate que beaucoup de gens n’ont pas toujours une bonne vision des différents termes, et qu’on se mélange un peu les pinceaux entre double rôle, switch, coguidage et danses dégenrées… Où en sommes-nous ? Qui danse quoi ? Faisons le point !

Attention, anglicismes : dans cet article, vous trouverez de nombreux anglicismes qui désignent des notions de danse spécifiques. Dans la mesure du possible, je vais essayer de les traduire. Je ne sais pas pourquoi autant de termes anglais, est-ce que ça a été conceptualisé en anglais ou est-ce que c’est comme ça que je les ai appris ? Je ne sais pas.

Attention : cet article n’est pas rédigé dans le langage inclusif. Je ferais vovolontiers usage des différents pronoms et des points médians mais, voulant adresser cet article à des lecteurs qui ne sont pas forcément habitués à un vocabulaire déconstruit, j’ai décidé de faire simple.

Sortir des rôles de danse traditionnels

Prenons les choses depuis le début. Les rôles de danse traditionnels, en danses de couple, c’est la classique répartition genrée binaire : il y a généralement un rôle de guideur, attribué aux hommes, et un rôle de suiveuse, attribué aux femmes. Ça a été, et c’est encore le modèle majoritaire que l’on rencontre en bal et aux cours. C’est même tellement intégré dans notre quotidien, que très souvent on mélange le rôle de la danse avec le genre de la personne. “Les hommes”, mettez-vous par ici, “les femmes” par là.

Rôles genrés

Dans mon article “Mais depuis quand les femmes guident-elles ?”, on voit bien que cette répartition genrée a beau être la norme, il y a toujours eu une portion de femmes et d’hommes pour casser les codes et changer de rôle, et ça ne date pas d’hier. Alors pourquoi en parler aujourd’hui ? Je pense que la récente évolution de ces dernières générations, c’est que nous conscientisons mieux les rapports inégalitaires induits par les rôles de danse et que nous commençons à revendiquer une répartition différente dans le bal autant que dans l’apprentissage pour ceux qui le souhaitent.

“Dégenrer” les rôles de danse

Notre idée, c’est de désolidariser le rôle de danse du genre de la personne. Traduisez par : les femmes peuvent prendre le rôle de guideuses, et les hommes prendre le rôle de suiveurs s’ils le souhaitent. Les personnes, donc, peuvent choisir le rôle qu’elles souhaitent. Les personnes qui ne s’identifient pas par les genres binaires ne sont plus obligées de se justifier ou de se faire violence chacun fait ce qu’il veut, tout le monde est inclus et c’est super.

On peut alors soit garder la binarité femme-homme (la femme guide et l’homme va la suivre) ou danser avec une personne du même genre (deux femmes dansent ensemble, ou deux hommes dansent ensemble). Le fait d’attribuer des rôles de danse indépendamment du genre de la personne n’est pas du tout un fait nouveau, mais souvent il fallait revendiquer une « raison » : le manque de partenaires, le besoin de pratiquer / s’entraîner, une orientation sexuelle… Depuis quelques années, les gens vont également revendiquer le changement de rôle par intérêt libre et personnel, en vue de progresser techniquement…

Rôles dégenrés
Rôles dégenrés
Rôles dégenrés

Il existe des soirées ouvertement dégenrées, les soirées open rôle (rôle libre). Vous choisissez le rôle que vous voulez pour danser. Certaines soirées proposent des bracelets ou autres signes distinctifs pour indiquer le rôle que vous souhaitez faire (guider, suivre ou les deux) afin de faciliter l’invitation. La manière la plus efficace étant encore de verbaliser “tu veux guider, ou tu veux suivre ?”.

Bracelets
Règles milonga

Comment appeler les rôles de danse ?

Faisons un petit aparté sur la manière de nommer les rôles de danse. Si de nombreux profs parlent des rôles comme les hommes et les femmes, “faire l’homme” et surtout “faire la femme” peuvent être perçus de manière négative ou dégradante, d’où la volonté de nombreuses personnes d’utiliser d’autres termes. 

J’abordais le sujet dans Dégenrer l’apprentissage des danses de couple, les enseignants et enseignantes, danseurs et danseuses de toutes les communautés sont à la recherche de nouveaux termes pour désigner les rôles de danse. Ainsi certain·es n’aiment pas trop actif / passif. Guideur et suiveuse sont également genrés. Guideur et guidé sont trop proches… J’ai déjà entendu pilote / copilote, que personnellement j’aime bien. Enfin, on voit fréquemment utiliser les termes anglais leader et follower, ou tout simplement personne qui guide et personne qui suit.


Faudrait-il laisser tomber “Guider” et “Suivre” ?

Notons également que l’utilisation même de guider (lead) et suivre (follow) ne convient pas à un certain nombre de personnes, qui trouvent que ces termes renvoient à des notions et valeurs ne correspondant pas à la réalité.

Guider va généralement véhiculer l’idée de décider de la danse, alors que suivre sous-entend que la personne est passive ou doit juste suivre, et il faut parfois des années pour que les danseurs·ses comprennent que guider n’est pas dénué d’écoute de sa partenaire, et que suivre signifie aussi affirmer, s’opposer, proposer, amener de la personnalité à la danse.


Les communautés queer

Sortir de la norme et revendiquer une organisation différente – non cis-hétérosexuelle – n’est pas une nouveauté et encore moins une mode. Pour certains et certaines, c’est surtout une question de sécurité. Ainsi, il existe depuis de nombreuses années, des communautés de danse queer. Le mot queer n’est pas un terme spécifiquement lié à la danse, c’est un mot – à l’origine un terme négatif que les communautés LGBTQIA+ se sont réapproprié – pour désigner les personnes LGBTQI+.

Les personnes issues des minorités et/ou victimes de discriminations et oppressions systémiques (femmes, personnes racisées, LGBTQIA+… etc) ont besoin de se retrouver dans des espaces safe (sûrs) et bienveillants, où elles ne seront ni agressées ni marginalisées. La plupart (la totalité ?) des communautés de danse queer sont donc open role. Vous avez donc le droit d’y danser avec une personne du genre que vous voulez, et également d’y choisir le rôle de danse que vous voulez.

In Lak’ech Dance Academy – Organisation de Bachata Queer

Certaines communautés de danse queer fonctionnent en parallèle de communautés cis-hétéronormées. D’autres s’adressent régulièrement au grand public, hors communautés LGBTQ+, et font de la pédagogie et du lien avec les communautés de danse non queer. C’est pas exemple le cas de l’excellente association nantaise As Queer As Folk.

Revenons sur les différents termes

Le double rôle

On parle de double rôle pour les gens ayant appris les deux rôles, à la fois guider et suivre.

A moins d’apprendre à danser dans un milieu queer (LGBTQ+), la plupart des danseurs auront appris à danser dans le rôle attribué normalement à leur genre. C’est souvent au bout d’un moment qu’ils développeront un intérêt pour l’autre rôle ou oseront sortir du cadre. Pour ma part, j’estime pouvoir assumer mon côté « double rôle » à partir du moment où je m’estime au minimum de l’autonomie en soirée, mais c’est une appréciation toute personnelle.

Apprenant quasiment toutes mes danses en double rôle, je peux ensuite choisir en fonction de la soirée et de mes partenaires si je veux guider ou suivre. Le fait de développer le double rôle dans nos milieux de danse comporte le grand avantage de se débarrasser des quotas, des listes d’attentes pour les followers et des hordes de femmes qui attendent un partenaire sur le bord de la piste.

J’ai aussi lu régulièrement le terme ambidancer, que j’aime beaucoup, et qui véhicule la poétique idée d’être ambidextre de la danse.

Le rôle primo

Voici une expression que j’ai vue de temps en temps, notamment en anglais avec primary leader ou primary follower. Le rôle « primo » est celui que vous avez appris en premier si vous êtes double rôle. Souvent, les personnes double rôles ont appris un rôle (souvent celui attribué à leur genre) et ont ensuite appris le second.

À titre d’exemple, en tango mon rôle primo est celui de suiveuse que j’ai pratiqué pendant 8 ans, avant d’y ajouter le rôle de guideuse. De manière assez logique, il y a donc une asymétrie entre ma maîtrise de mon rôle primo et de mon rôle second.

Le switch

Le switch est une technique pratiquée par les personnes double rôles. C’est l’art d’échanger de rôle, une ou plusieurs fois au cours de la danse avec son partenaire. On se retrouve ainsi chacun à exercer les deux rôles dans la même danse. Parfois, d’autres termes sont utilisés, comme Liquid Lead. À la différence du coguidage, l’organisation des rôles guider-suivre est toujours respectée, même si elle transite d’une personne à l’autre.

Il existe des stages pour apprendre comment assurer des transitions de rôles fluides ou spectaculaires, et ils sont particulièrement intéressants.

Ma super prof de tango, Kira, est une incroyable double rôle. Saurez-vous compter combien de fois elle switche dans cette démo ?

Attention, consentement : vous serez peut-être tenté d’expérimenter le switch avec vos partenaires de danse. Petit point d’attention : merci de vous assurer que votre partenaire de danse est d’accord pour changer de rôle en cours de danse. Le mieux étant d’exprimer verbalement votre envie d’échanger avant de danser . Trop de leaders changent leurs positions de bras en mode “voilà, c’est ton moment de t’exprimer en me guidant”, en imposant leur choix sans prévenir.

Le coguidage

On parle de coguidage quand les deux rôles sont mélangés au point qu’on ne sait plus réellement qui guide et qui suit. Dans l’article Changer de rôle et coguider, je proposais en 2017 une première définition du coguidage, qui n’est pas tout à fait la même chose qu’échanger de rôle.

En fait, pour moi coguider revient essentiellement à co-écouter et co-proposer. Beaucoup. Si switcher signifie changer de rôles, la personne qui suit devenant la personne qui guide, au coguidage en revanche il n’y a pas réellement de leader. Deux danseurs se concentrent sur leur partenaire et écouter les variations et la musicalité proposées par l’autre et ainsi construire un dialogue. Ce n’est donc pas une écoute passive, et le pilotage appartient au moment où votre proposition “embarque” votre partenaire.

Switch
Coguidage

Les cours ELF – Equally leading and following

On retrouve régulièrement, surtout au swing, des cours étiquetés “ELF”, signifiant Equally Leading and Following. Il s’agit donc de cours double rôles où l’on va apprendre à guider et à suivre en même temps. Comme pour le cours de forrò décrit dans Causette, les danseurs vont apprendre simultanément “les deux côtés”, et ne devraient donc pas avoir d’asymétrie dans leur maîtrise des deux rôles comme je l’ai mentionné plus haut.

Dans la discussion que nous avions eu en groupe en 2019, il n’y avait pas de consensus clair sur la manière d’apprendre le double rôle aux gens. Faut-il commencer en débutant et apprendre les deux en même temps ? Faut-il apprendre un rôle puis l’autre ? Faut-il proposer aux gens d’expérimenter les deux rôles dans un premier temps, puis leur demander de faire un choix ? Faut-il proposer des stages spécifiques en double rôle en marge des cours réguliers ? La question reste libre. Ma certitude c’est que chaque personne a sa propre sensibilité face à la question, mais qu’en proposant suffisamment d’offres de cours de danse, ELF, ou libre choix de rôle, les gens auront la liberté de choisir l’apprentissage qui leur convient le mieux. 

Enfin, je pense qu’il faut préciser que le fait de proposer le double rôle ne signifie pas du tout que tout le monde devrait savoir faire les deux rôles. Vous pouvez être parfaitement à l’aise en femme qui suit et homme qui guide, sans avoir envie de bousculer les lignes. Et c’est bien sûr tout à fait ok, tant que vous laissez aux autres personnes la possibilité de choisir leur rôle.

Et puis, vous pouvez choisir de guider dans une danse mais pas dans une autre. Dans une soirée de danse de salon queer où je suis allée, les personnes apprenaient librement les différentes danses : l’un apprenait le tango en leader, et le cha-cha en follower. L’une apprenait le foxtrot en leader et le mambo en follower…

Apprendre le double rôle dans un cours qui ne l’est pas

La plupart du temps, le cours classique qui vous est proposé ne vous propose pas d’apprendre en double rôle, ni même de choisir le rôle de danse que vous voulez. Ça ne vous empêche pas, bien sûr, d’affirmer que vous voulez pratiquer un autre rôle et de vous y tenir.

J’aimerais toutefois attirer votre attention sur la différence entre un cours « ouvert » et un cours classique.

Dans un cours classique où je veux guider en tant que femme, généralement il n’y a pas de problèmes jusqu’au moment où on se retrouve en pénurie de suiveuses. Il y a généralement un regard général vers la ou les femmes qui guident, dans l’attente qu’elles reprennent leur rôle naturel pour “arranger” le groupe. Il m’arrive parfois de plier à la pression sociale, parfois non.

Il ne m’a jamais été demandé de changer de rôle dans un cours “ouvert” aux doubles rôles. La semaine dernière au tango, quand le cas de figure s’est présenté, j’ai continué de guider. Ce sont les hommes présents qui ont changé de rôle et ont suivi. Voilà la différence.

Pour conclure, j’aimerais dire que l’ouverture à une nouvelle répartition des rôles de danse ou la création de nouvelles formes de guidages (coguidage) ne vient pas nuire à la répartition cis-hétéro-centrée actuelle. Celles et ceux qui veulent rester comme ça le peuvent, et c’est très bien. En revanche, je pense que cette ouverture vient enrichir le champ des possibles pour les autres, et permet même d’inclure plus de personnes dans les danses sociales et par conséquent, qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Aujourd’hui, je n’ai encore personnellement rencontré aucun danseur homme qui ne ferait “que suivre”. J’espère que ces personnes existent, mais j’ai le sentiment qu’il reste encore beaucoup de freins, qui notamment pénalisent les hommes. J’aimerais aussi vous partager le post Facebook de ma professeur de tango, Kira, qui exprimait il y a quelques mois, la difficulté d’être une professionnelle double rôle et les attentes de la communauté tango par rapport aux couples de danse et aux professionnelles qui enseignent seules.