Parce que les mots sensualité ou sexualité ne sont, selon moi, pas adaptés au contexte de danse, je vous explique aujourd’hui ma vision de la dansualité !
Si vous avez déjà regardé le TEDx de Trevor Copp et Jeff Fox, Liquid Lead, au début de la conférence on nous montre les résultats d’une recherche google après avoir tapé Balroom dancing. Leur constat est les résultats présentés ne montrent en grande majorité que des couples blancs / hétérosexuels, avec une répartition des rôles de danse strictement genrés (l’homme guide, la femme suit).
Il m’apparaît également que ce type de recherche renvoie également des images assez éloignées de la réalité de la danse sociale, et de plus en plus semblables à des pubs Tinder. Des couples magnifiques, des poses sexy d’un côté, viriles de l’autre, soit dans une embrassade sulfureuse, soit dans une pose aérienne, cheveux au vent… La publicité pour la danse marche de la même manière que la vente de parfum ou de rouge à lèvres, les images se ressemblent fort : du romantique, du sulfureux, du sexe, de l’impressionnant…
Honnêtement, amis danseurs, est-ce que vous ressemblez à ça quand vous dansez ?
Est-ce que la danse est à propos de sexe ? Probablement un peu. A travers l’histoire, la danse sociale a toujours été l’occasion de rencontrer ou d’être présenté à un.e partenaire potentiel.le. À certaines époques, c’était même c’était même parfois la seule occasion de se parler ou de se toucher sans la présence d’un chaperon. La légende veut que le tango ait été inventé dans les bordels de Buenos Aires… et après tout, danser en couple a toujours été relatif à des corps qui se touchent, s’enlacent, au contact physique…
Peut-être que la recherche d’un.e partenaire sexuel est ce qui nous amène parfois vers la danse sociale. Peut-être que ce type de visuel peut nous amener une part de rêve et de fantasme sur ce qu’on peut y trouver.
Seulement voilà : la grande majorité des danseurs finit par y trouver aussi autre chose. Une notion étrange selon laquelle on peut aimer être en contact avec le corps d’une personne et en musique, sans aucune connotation sexuelle.
L’expression verticale d’un désir horizontal
Le tango et les danses latines en général, ont la réputation d’être très sexy et sensuelles. Le tango est l’expression verticale d’un désir horizontal est, je pense, l’expression que j’ai le plus entendue sur le tango depuis que je danse. Je finis par expliquer aux gens que mes partenaires de danse sont généralement plus vieux que mon père, ce qui place le désir horizontal AUX ANTIPODES des raisons pour lesquelles, personnellement, je danse le tango.
La différence entre séduction et sensualité
En vérité, la plupart des gens n’ont pas d’autre référentiel pour le contact physique, que le prisme de la sexualité. Parfois nous embrassons notre famille, nos amis, pour un contact corporel de quelques secondes. Les seuls contacts « prolongés » sont les contacts romantiques. Sinon nous avons peu, voire pas, de contacts physiques avec un autres corps.
L’idée de la sensualité est donc très liée à l’attraction sexuelle, car nous n’avons pas d’autre référentiel.
Mais voilà, les danseurs ont découvert la sensualité en dansant, et pour beaucoup, ce n’est pas relié à une attirance physique pour leurs partenaires de danse.
La danse de couple est un dialogue sensuel en musique, pendant lequel nous partageons un déplacement en rythme sur une musique. Ça n’est pas un contact anodin, ça peut être intime. C’est ça, pour moi, la dansualité.
Pour ma part, c’est un contact purement platonique pour la simple et bonne raison qu’on ne peut pas être attiré par chaque personne avec laquelle on danse.
La danse sociale est finalement assez proche du mouvement Free Hug, qui fait la promotion du contact physique entre humains dans toute sa simplicité.
Au final, ne serions-nous pas des free-huggers dans un contexte musical ?
Démo contre danse sociale
Pour nous amener à la danse, de nombreux organisateurs et professeurs comptent sur des jolis posters, des flyers, et des vidéos de démos sur youtube qui jouent à fond les codes de la sexualité. Ce faisant, ils peuvent créer un gap entre l’attente et la réalité. La plupart des contenus montrent des personnes sexy, jouant à fond sur l’attitude ou des pas hyper acrobatiques et impressionnants.
Les démos sont de super outils pour montrer jusqu’où la technique peut aller, avec des personnes au sommet de leur art. Je n’ai absolument rien contre les professeurs qui font ça, mais on peut quand même préciser quelques trucs :
- la plupart du temps, il s’agit de figures impossibles à réaliser en contexte de « bal » (pas assez de place, trop de monde, trop dangereux, partenaires qui cassent…)
- sans un partenaire fixe de 10 ans d’expérience, impossible à reproduire en contexte d’improvisation avec un.e partenaire rencontré au hasard
- les démos de professeurs sont faites pour amener des élèves au cours de danse. Ils ne dansent pas comme ça tout le temps, notamment en bal
Est-ce que ça représente le tango que vous pourrez apprendre et refaire en milonga ? Personnellement je pense que non.
Dans le milieu du tango, on distingue clairement le tango de spectacle « tango fantasia » et le tango social des milonga. Le grand public, lui, peut penser que la démo c’est la vraie vie.
Les vidéos de danse peuvent vous amener à la pratique – ou vous en éloigner
Un petit exemple avec des amies qui étaient intéressées par le forrò jusqu’à ce qu’elles voient la vidéo ci-dessous, de Valmir et Juzinha. Superbe démo avec des danseurs brillants, mais également un peu effrayante pour des débutants. Elles ont eu peur d’essayer la danse parce qu’elles ne se sentaient pas capables de danser de cette manière (mais honnêtement, à part eux, qui peut ?), alors qu’en réalité, la pratique du forrò en contexte social ressemble d’avantage à la vidéo de droite. Deux visions du forrò, les deux sont très bien exécutées, mais elles ne montrent pas du tout la même chose de la danse.
Alors, pourquoi voulons-nous danser ?
Si vous demandez aux danseurs pourquoi ils dansent, ils évoquent de nombreuses raisons pleines de sens, que malheureusement nous exploitons peu quand nous faisons la promotion de la danse.
Et ces raisons sont diverses : pour ressentir, exprimer sa musicalité, pour se connecter à leurs racines, pour travailler leur rapport à leur corps, pour se détendre, pour s’amuser, pour rencontrer des gens, pour guérir, pour se déconnecter du quotidien, pour ressentir la joie de la musique, pour être tenu…
The dancing grapevine – Why do you dance, a collection of dancer opinions
Une quête du flow, cette mystérieuse sensation entre les corps
Parmi les choses fréquemment évoquées par les danseurs à propos de leur ressenti, il y a une notion très spéciale qui prend un peu de temps à acquérir : le mystérieux flow. Il a parfois des noms différents, comme la zone. Il s’agit de cet état de grâce qui vous fait oublier la salle, la fatigue, les soucis. Le temps et les désagréments s’effacent, vous oubliez le monde extérieur et le temps s’écoule différemment.
Cette sensation, ce bien être, est parfois confondue avec la séduction. Pourtant, le flow n’existe pas uniquement dans les danses de couples. Dans un contexte de danse, parvenir au flow va demander :
- à être détendu
- une bonne posture
- avoir un.e bon partenaire également détendu et à l’écoute
- de la bonne musique et de bonnes conditions de danse
Il n’y a pas de relation avec un quelconque niveau de danse, même si j’ai tendance à croire qu’être détendu avec une bonne posture, en immersion dans la musique et à l’écoute de son partenaire n’est pas accessible à tout débutant venu.
The dancing grapevine : Making magic, the elusive art of connection
Et maintenant ?
À partir de là, il y a quelques choses que nous pouvons collectivement mettre en place pour amener les gens au flow, sans tomber dans la trappe de la sexualisation des danses de couples. Je ne vais pas les lister toutes, mais voici déjà quelques actions que nous pouvons mettre en place facilement.
Communiquer différemment
J’adore regarder des vidéos de démos de danse, c’est une grande source d’inspiration. Mais pour certaines danses, j’éprouve des difficultés à trouver des vidéos de danses normales, juste des personnes qui dansent simplement, de manière réaliste, fluide, atteignable, qui me donne envie d’essayer la danse sociale.
Je pense profondément que nous n’avons pas besoin de poses sexy sur des posters pour promouvoir la danse, même pour les danses latines. De nombreuses danses ont commencé à communiquer différemment, pour mettre en valeur plutôt l’amusement, la communauté, la qualité musicale… autant d’arguments qui peuvent décider les gens à se mettre à danser.
Comment faire, me direz-vous, pour faire la promotion de la danse de couple sans montrer des danseurs sexy ? Tout simplement en portant attention aux visuels et en essayant de représenter plus de diversité, utiliser des illustrations plutôt que des photos, jouer sur l’humour… Il y a plein de représentations à explorer !
Raiz 2017 As Queer As Folk – Chloé Sutter
Enseigner les danses dégenrées
Si le plaisir de danser ne dépend pas du genre des partenaires, alors aucune raison de toujours fonctionner sur le modèles les hommes guident = les femmes suivent, n’est-ce pas ? Comme je le disais dans Changer de rôle et coguider, nous devrions ouvrir nos esprits à d’autres types de connexions et promouvoir d’autres manières de danser.
Enseigner la connexion au lieu des variations
Il semble que les débutants aient généralement envie de progresser vite, et que ça se voit avec des pas qui en jettent, mais si l’accès au flow passe par le confort et la connexion, alors pourquoi ne pas faire passer ce confort avant les passes les plus impressionnantes ?
The dancing grapevine – How to learn connection for those who don’t get it right away
Des zones de sécurité dans nos bals
Une mauvaise communication véhicule un mauvais message à propos des comportements acceptables ou non en bals. Ca amène les gens à la danse en leur véhiculant des attentes faussées. Des témoignages alarmants ont ainsi été publiés sur Parquets glissants ou Connexion féministe, preuve qu’il y a bien du chemin à parcourir.
En conclusion, j’aimerais préciser que je ne suis pas fermement opposée à la drague dans les bals, ça n’est pas l’objectif de cet article. Ça m’est arrivé de séduire en bal, et c’est le cas pour plein d’autres gens. Ceci dit j’aimerais que le prisme de découverte de la danse ne soit pas uniquement celui là. J’aimerais voir de la diversité dans les personnes qui représentent la danse, dans les styles qui sont montrés, dans les styles de mises en scène. J’aimerais que toute la diversité qui, je le sais, existe ait aussi sa part de lumière.