Depuis quelques années, le forrò s’invite dans de nombreux bals folk et festivals.
D’où vient-il ? Comment ça se danse ? Comment mixer du forrò à ma scottish ?
Au bal folk, une bonne partie des danses traditionnelles provient des campagnes françaises. En fonction de l’endroit où l’on se trouve en France ou en Europe, et en fonction des groupes de musique qui y jouent, il arrive que des danses traditionnelles d’autres pays soient également de la fête.
Alors qu’à Paris les communautés folk et forrò vivent plutôt séparément, dans le Sud-Ouest de la France par exemple, il y a une plus grande proportion d’organisations qui intègrent du forrò dans leurs bals folk, proposant parfois des soirées mixtes.
De plus en plus connue hors de ses frontières, cette fantastique danse de couple brésilienne présente de nombreux points communs avec la scottish du folk, et c’est finalement sans trop de surprise qu’elle plaît à bon nombre de folkeux, même si elle est parfois mal connue et mal maîtrisée.
Pour avoir eu l’occasion de côtoyer un peu les deux univers, je vous propose de prendre quelques instants pour étudier nos nombreux points communs et nos spécificités respectives.
Forrò kesako
Le forrò est une danse de couple populaire et rurale du Nordeste du Brésil de la fin du 19e / début du 20e siècle. S’il faut la visualiser dans ma tête de folkeuse, je dirais qu’elle ressemble un peu au chaînon manquant entre la scottish et la salsa.
Si tu sais pas où est le Brésil, voilà c’est là !
C’est une danse populaire – à la base sans passes de bras – dansée au corps à corps, qui a depuis subi une forte influence de la salsa et s’est déclinée en plusieurs “styles” au fil du temps, conquérant un public plus jeune. Théoriquement, c’est donc moins compliqué que la salsa car on peut ne faire que du pas de base, mais on peut aussi y apporter toute la variété et la complexité des passes de bras.
Comme au bal folk, le forrò (terme qui désigne à la fois la musique et la danse) est une danse “de village” intergénérationnelle et communautaire, qui a réussi à conserver son côté bal populaire avec des groupes en live, et donc une forte créativité musicale.
Si vous croisez un brésilien et que vous lui dites que vous dansez le forrò, la probabilité qu’il ouvre de grands yeux et vous réponde “comme ma grand-mère ?!” est assez élevée.
Au niveau de la musique, le forrò a une identité bien particulière, avec des chansons enjouées, très souvent chantées, toujours un accordéon chromatique, un triangle, un tambour (zabumba), et souvent un tambourin (pandeira).
L’incontournable Luis Gonzaga et l’âge d’or du forrò
Un peu comme le tango, le forrò a connu un “âge d’or” dans les années 1930-1940, qui lui a permis de sortir de sa région d’origine, le Nordeste du Brésil, pour s’étendre au pays tout entier, avant de se mondialiser. Au forrò cet âge d’or est notamment incarné par un compositeur-chanteur, Luis Gonzaga né en 1912 et mort en 1989.
C’est une chose que je trouve très importante à savoir car Luiz Gonzaga a laissé une très forte empreinte dans la communauté forrò, notamment auprès des musiciens. Il chantait vêtu du traditionnel habit de vaqueiro, le gardien de troupeaux, et on trouve fréquemment des musiciens qui arborent également le même chapeau sur scène.
Dans quasiment chaque bal forrò aujourd’hui, même un groupe avec ses propres compositions va à un moment interpréter “une chanson de Luis Gonzaga”. A-chaque-fois.
Les différents types de forrò
Le forrò prend de multiples formes et des styles variés : plus ou moins rapide, plus ou moins de passes. Le forró comprend 4 rythmes de base principaux : le xote (lent), le baião (moyen), le xaxado (rapide), et enfin l’arrastapé. Mis à part pour l’arrastapé, les trois premiers se partagent le même pas de base, c’est donc la vitesse et le style de danse qui vont faire la variété de la danse.
En bal folk, on retrouvera davantage de xote et de forrò baião, qui sont à mon sens les formes de forrò plus accessibles pour qui maîtrise déjà la scottish.
On trouve aujourd’hui trois styles de forrò, chacun avec ses spécificités de musique et de danse :
- le forrò « traditionnel », acoustique « forró pé de serra » (du nom d’une chanson de Luiz Gonzaga écrite en 1946)
- instruments traditionnels
- danse enjouée, pas beaucoup de passes de bras
- le forró universitario ou Forró Universitaire ( issu de Sao Paulo) qui date des années 90
- groupes plus modernes avec instrumentation plus ouverte
- beaucoup de passes de bras inspirées de la salsa
- le forrò roots, un retour aux sources modernisé
- retour à une musique plus « traditionnelle »
- Peu de passes de bras, mais beaucoup de jeux de pieds inspirés de la samba et du tango
Arrastapé le mal aimé ?
Les bals brésiliens comprennent également une autre danse, l‘arrastapé (arrasta-pé ?), qui ne se danse pas tout à fait de la même manière, en “marchant” uniquement sur le temps fort. De mon point de vue de folkeuse, elle est au forrò – en gros – ce que la polka est à la scottish.
De ce que j’en ai constaté, l’arrastapé est moins populaire auprès des danseurs, peut-être parce qu’il est un peu plus « brut », même si pour ma part je trouve cette danse vraiment sympa et plus spontanée. Pour les folkeux, elle colle très bien aux polkas de Sons libres et Tukki bukki.
Du folk au forrò, et du forrò dans du folk
Comme je le disais en préambule, le forrò est parfois mal connu des folkeux, car en théorie on peut parfaitement danser la scottish dessus, et beaucoup s’en contentent. De plus, les passes de bras du forrò nous sont inconnues, et donc difficile voire impossible à improviser en bal.
Edit du 19 février 2023 avec l’interview du groupe Forro des Petits Pas aux Trad’Hivernales
Avec mon petit recul, voici quelques conseils pour se mettre au forrò quand on danse le folk.
Quand et pourquoi mettre du forrò dans son folk ?
Que vous entendiez une scottish aux accents exotiques ou que vous assistez à un bal folk mix-forrò, vous aurez vite envie d’apporter quelque chose en plus à votre scottish : des passes de bras façon salsa, des déhanchés, une plus grande proximité… Connaître un peu de forrò peut vous amener à enrichir votre danse.
TOUTEFOIS, on le répète, le but de la danse n’est pas de galérer ou de mettre son.sa partenaire en difficulté en faisant des passes compliquées pour épater la galerie, mais bien de s’amuser à deux en musique.
Je trouve donc fort important de bien choisir le quand, le comment et le avec qui. Le meilleur moment, c’est donc quand la musique s’y prête, avec un.e partenaire qui se sent à l’aise avec ça. Si je tente du forrò avec un.e partenaire un peu trop raide, ou qui ne souhaite pas danser plus proche, j’oublie et je reste en scottish.
En bal folk , certains groupes mixant scottish et musique du monde, sont particulièrement recommandés pour se mixer avec un peu de forrò.
Mettre du groove
C’est mon premier constat, parce qu’on aime bien dire “le forrò c’est comme la scottish” mais même si rythmiquement ça colle, il faut quand même dire que ça ne sonne pas tout à fait pareil : les accents chantants du forrò, sa rythmique lourde et très évidente, sa lenteur…
Tout est propice à un certain groove et à un déhanchement. Le déhanché brésilien n’est pas le même qu’à la salsa d’ailleurs. C’est un peu comme si à chaque fois que vous faites un pas, vous allez en profiter pour faire ressortir vos fesses et vos poches pour que tout le monde les voit. Rien de bien ostentatoire pour autant, on n’est pas là pour rouler des mécaniques.
Collé-serré et sensualité
Après quelques vidéos, il ne vous aura pas échappé que le forrò se danse beaucoup plus collé-serré que la scottish. La position de base, c’est généralement bustes collés, la suiveuse* avec la main posée sur la nuque de son partenaire. On est dans une connexion buste à buste comme au tango, alors qu’en scottish la connexion, l’échange de l’information entre guideur et guidé, se fait dans le dos.
Pour le coup, le forrò et le tango ont ceci en commun qu’on peut danser en sensualité sans avoir le sentiment de drague. Les gens sont globalement là pour danser, malgré le côté très sensuel.
Toutefois au bal folk, cette manière d’assumer sensualité / proximité n’est pas dans notre approche de la danse, et il n’est pas forcément aisé de mettre de la proximité avec tou.te.s les partenaires. Respect et consentement doivent être de mise, donc.
(*) suiveuse traditionnellement, parce que le milieu du forrò est un petit peu plus « genré » que le folk
Savoir lancer des passes ou s’en passer
Le forrò a emprunté beaucoup de passes de bras à la salsa. C’est impressionnant et c’est très beau, mais ça ne s’improvise pas trop. Les passes de scottish ne vont pas bien fonctionner, la manière de lancer les passes n’est pas non plus tout à fait comme à la salsa.
Le forrò joue beaucoup sur l’élasticité. Par exemple pour une pastourelle, le.la guideur va donner une impulsion vers l’arrière sur le 1, et jouer sur l’élasticité pour faire tourner sa partenaire sur le 2-3.
Si vous ne savez pas lancer de passe, alors concentrez-vous sur le pas de base du forrò et travaillez pour le rendre clair, groovy, et entraînant, je vous jure que ça suffit.
Bonne nouvelle : Marion Lima, qui enseigne le forrò à Paris, donne aussi des ateliers à l’occasion de Gennetines, le Grand Bal de l’Europe.
Stretch des bras, quand tu nous tiens
Forcément, avec davantage de passes de bras, on va plus solliciter le haut du corps qu’en bal folk. Au forrò il est important d’avoir une bonne tenue de bras pour aller chercher le fameux stretch, faire des ouvertures etc.
D’une manière générale, le forrò va vous demander d’être plus actif, plus présent avec le buste, plus tonique avec les bras, et plus souple d’une manière générale.
Danser sur la pointe des pieds ?
Contrairement à la salsa ou aux autres danses latines, les danseuses de forrò ne dansent pas en talons hauts. En réalité, le nombre de passes et de tours demande à la suiveuse d’être perpétuellement sur l’avant du pied. Dans le forrò Universario notamment, la vitesse, les variations rythmiques et les passes de bras amènent les danseuses à être perpétuellement sur la pointe des pieds, et la grande réactivité et la tension qu’on leur demande fait qu’elles dansent jambes très tendues et surtout bien gainées, en particulier pour les danses rapides.
A mon sens, il n’y a pas besoin d’être perchée sur sa pointe de pieds en équilibre précaire pour danser sur l’avant du pied. Pour ma part, je danse “à plat” avec mon poids du corps vers l’avant.
Attention, on va enchaîner
Il n’est pas rare dans les bals forrò que le groupe enchaîne les morceaux sans faire de pause. Si l’on n’y prend pas garde, des morceaux de même rythme s’enchaînent, et il est parfois malaisé de regarder son partenaire et de lui dire “on s’arrête ? oui, ok”, et d’aller inviter quelqu’un d’autre.
Sachez-le donc : ça arrive, et ce n’est pas dramatique. Ça fait juste bizarre la première fois. (oui, une fois j’ai fait 8 danses d’affilée avec le même danseur, on attendait bêtement que le groupe marque une pause…)
Les danses trad brésiliennes, un univers bien plus large que le forrò
Comme au bal folk il n’existe pas que la scottish, vous imaginez bien que le Brésil ne danse pas que le Forrò. Les danses brésiliennes dans leur ensemble sont intrinsèquement liées à la culture populaire brésilienne. On va penser Carnaval de Rio, Samba, Capoeira… La culture brésilienne marque vraiment le milieu du forrò, les festivals sont souvent bilingues français-portuguais… A Paris, pour une bonnr soirée brésilienne on peut par exemple aller boire des caïpirihna et écouter de la musique ambiance bondée au Mineirihno bar. On va aussi danser le Frevo, une danse solo extrêmement physique et acrobatique, des quadrilhas ou la Samba de Gafieira.
C’est un univers que je connais mal, mais bref, si vous vous intéressez de près au forrò, je vous invite à ne pas vous limiter à la danse et à vous intéresser pour de vrai à la culture brésilienne !
Si je devais citer un point négatif tout personnel, je pense que la seule chose qui me manque en soirée Forrò, c’est un peu plus de variété. Même si j’apprécie beaucoup cette danse, elle revient parfois à danser de la scottish pendant des heures, à des vitesses multiples. Les danses collectives finissent par me manquer. C’est pour cette raison que la mixité folk/forrò me plaît particulièrement.
Malgré tout, cette danse, cet univers est un véritable plaisir, un cocon de chaleur et d’amusement dont on se lasse difficilement. Et afin de se quitter en musique, j’en profite pour vous partager ma petite playlist Spotify.
Photo de couverture : Samuel Lagneau / Marshmallow Photos / Ai Que Bom 2019