Parlons danse - Dégenrer l'apprentissage des danses de couple -11 octobre 2020

Rencontre Parlons danse : dégenrer l’apprentissage des danses de couples

Dimanche 11 octobre, un groupe de danseurs-seuses s’est réuni dans l’espace le Cinq du Centquatre-Paris pour une première réunion de “Parlons danse : dégenrer l’apprentissage des danses de couple”.

Dans les personnes réunies, nous trouvions un panel de danses dites “sociales” (c’est à dire s’exprimant à la fois via des cours et des bals), parmi lesquelles : des danseur.seuse.s de lindy hop, blues dancing, tango argentin, west coast swing, bal folk, lambazouk…

Cette première rencontre avait pour but de se rencontrer, de discuter des danses dégenrées, de comparer les différentes scènes de danse, et de déterminer le champ des possibles, ce que nous pouvons – à notre échelle – faire évoluer dans nos scènes de danse.

Partie 1 : listes et définitions

Les termes liés à la danse dégenrées

Notre premier exercice consistait à définir le champ lexical des danses dégenrées. D’un côté, les termes utilisés dans les différentes scènes de danse, d’un autre côté les termes utilisés pour l’enseignement.

Nous constatons qu’en fonction de nos expériences, nous ne connaissons pas tous les termes utilisés dans les différentes scènes de danse. Par exemple, le mot switch pour désigner un changement de partenaire au cours d’une danse, semble moins connu en tango qu’en lindy hop. Autre exemple, le mot ELF pour Equally Leader and Follower désigne des cours où on apprend à la fois à guider et à suivre, et c’est un format qui semble se développer plus particulièrement dans le milieu des danses swing (lindy hop et blues dancing).

Enfin, la notion de chaussures – notamment de talons – dissociant les suiveuses des guideurs, est un élément très présent au tango argentin ou à la salsa (sachant que ce n’est pas impossible de guider en talons aiguilles, mais autrement plus difficile), alors qu’il n’aura aucune importance en bal folk par exemple.

Les termes répertoriés, en libre association avec “danses dégenrées”

  • Codes
  • Rôles
  • ELF (Equally Leader and Follower)
  • Double rôle
  • Faire « l’homme »
  • Désexualiser
  • Queer
  • Féminisme
  • Politique
  • Corps
  • Flow
  • Coguidage
  • Switch
  • Alternance
  • Droite / gauche
  • Initiateur / répondeur
  • Actif / passif
  • Homme / femme
  • Leader / follower
  • Guideur / guidé
  • Cavalier / cavalière
  • Prendre le lead
  • Iso
  • Invitation
  • Discussion
  • Écoute
  • Jeu
  • Taille

Des termes queer, féminisme, politique semblent indiquer que le dégenrage des danses de couples est avant tout une démarche engagée. Durant nos échanges, le terme valeurs est revenu régulièrement autant de la part des enseignant-es que des danseur-seuses. Le terme queer est revenu également à plusieurs reprises, et il semble d’avis que les danseur-seuses queer / lgbt+ ont ouvert la voie du dégenrage aux scènes de danses plus “traditionnelles” où la danse dégenrée est en train de devenir un sujet. Autant au tango – entre autres – il existe une scène parallèle queer, autant dans la plupart des autres danses, les danseur-seuses dégenrés ne sont pas séparés et doivent s’intégrer tant bien que mal.

Le flow, le coguidage sont deux mots qui ont été utilisés pour désigner la même notion d’une danse où il n’y aurait personne qui guide ou qui suit, mais un mélange tellement subtil des deux que les rôles sont effacés. Le switch / l’alternance, désignent une danse où on va échanger les rôles une ou plusieurs fois au cours de la danse.

Par cet ensemble de termes, on voit que la danse dégenrée mène à la création de nouvelles manières de danser et d’enrichir la danse. Dans un monde où tout le monde connaîtrait les deux rôles, le champ des possibles serait plus donc plus étendu.

On comptabilise aussi de nombreux termes concernant la répartition des rôles, et cherchant à remplacer la désignation hommes/femmes. Enseignant-es et danseur-seuses de toutes les scènes sont à la recherche de nouveaux termes pour désigner les rôles tout en représentant au mieux la réalité. Ainsi certain-es n’aiment pas trop actif / passif car cela sous-entend qu’un des rôles, passif, participe moins à la danse.

Par taille et chaussures, on aborde la danse dégenrée par des considérations plus “pratiques” telles que la différence de taille et de poids que représente un suiveur masculin, ou au tango une femme qui resterait en chaussures plates la désignerait de facto comme une personne qui va également guider.

Enfin, les mots invitation / discussion / écoute / jeu sont des termes qui sont largement utilisés d’une manière générale, mais qui revêtent une importance particulière dans le cadre de la danse dégenrée. Sortir des normes peut permettre de changer la donne dans la discussion, le jeu de la danse, améliorer son écoute. Ça va avoir une incidence importante sur la manière dont on invite ses partenaires et notre rapport aux autres danseur-seuses.

Les motivations

Cette partie consistait à lister, sans ordre particulier, les motivations qui animent les danseurs et danseuses à apprendre un autre rôle (que leur assignation rôle/genre) et les enseignant-es à l’inclure dans leur pédagogie.

Qu’est ce qui pousse un.e danseur.seuse à apprendre un autre rôle que celui assigné à son genre ?

  • Le manque de partenaires, se libérer de la parité
  • Apprends à être meilleur-e dans son rôle d’origine
  • Apprendre des pas qu’on ne connaît pas, enrichir la danse
  • Mieux comprendre l’autre
  • Apporter du fun dans sa danse
  • Intérêt pour le switch
  • De follower à leader : recherche de pouvoir, contrôle des choses, assertivité, en tant que femme devenir l’initiatrice de l’action, indépendance
  • Recherche de confort / préservation physique
  • Aimer autant un rôle que l’autre, et ressentir deux plaisirs différents
  • Plaisir d’interpréter la musique différemment d’un rôle à l’autre, comprendre le mécanisme des pas
  • Pouvoir changer de rôle selon l’état d’esprit de la soirée, de la musique ou des personnes avec qui l’on veut danser
  • Les danseurs double-rôles sont ici considéré.e.s plus intéressants / sympas / alternatifs / riches
  • Goût du challenge technique et intellectuel
  • Curiosité naturelle, pourquoi n’apprendre qu’un seul rôle / se limiter ?
  • Dysphorie (goût naturel pour un rôle de danse qui ne correspond pas à l’attribution genrée des rôles de danse)

Qu’est-ce qui pousse un.e prof de danse à dégenrer son enseignement ?

  • Correspond à ses valeurs personnelles
  • Besoin de savoir les deux rôles pour enseigner
  • Être plus efficace en cours particulier
  • Être plus inclusif-ve au niveau du genre
  • Proposer une pédagogie qui lui convient
  • Géographie / scène locale ouverte sur la question
  • En réaction à une “non-inclusion”
  • Débloquer une liste d’attente ou ne pas vouloir en imposer une
  • Il y a une demande
  • Ça devient tendance / les autres le font
  • Vouloir effectuer un changement
  • Donner la capacité aux élèves de choisir leur rôle et d’expérimenter un autre que celui qui leur aurait été traditionnellement attribué

Partie 2 : Organiser la pensée

Cette seconde partie a consisté à un travail en sous-groupes autour d’une série de questions, suivi d’une mise en commun. Le temps nous a malheureusement manqué pour boucler ces deux séquences et parvenir à un véritable échange, et c’est ce qui sera travaillé au cours d’une prochaine session.

Structure et pédagogie

Quels types de cours peuvent exister ?
Comment structurer les cours dégenrés ? (durée, changements de partenaires…)
Comment ça modifie l’apprentissage ?
Est-ce que les professeurs doivent connaître les deux rôles ?

Au cours des échanges, il est remonté que bon nombre de danseur.seuses n’ont tout bonnement pas eu accès à des cours dégenrés. Ils ont donc naturellement improvisé, par exemple en expérimentant eux-mêmes lors des bals, ou en se rendant à un cours “classique” avec un.e partenaire double rôle, ce qui permet d’échanger en cours de classe. Il est également remonté que dans ce cas, si le cours tout d’un coup perd sa parité, une pression est parfois faite sur la personne qui est sortie de son rôle genré pour qu’il.elle retourne dans son attribution première.

Quand l’enseignement est étiqueté “dégenré”, il peut l’être de différentes manières.

Les cours Equally Lead & Follow (ELF) :

  • permettent d’apprendre les deux rôles en simultané
  • l’échange des rôles et le changement de partenaires est orchestré par l’enseignant

Les cours libres :

  • les élèves choisissent un rôle pour le cours mais peuvent changer en cours de route pendant l’année
  • les élèves sont invités à expérimenter les deux rôles à leur rythme en début d’année, dans le but d’en choisir un à approfondir

Faire évoluer la pédagogie autour des rôles de danse

  • Enseigner les deux rôles en sortant d’un biais actif/passif pour aller vers un call/response partagé par les deux partenaires. Enseigner cette sorte de “coguidage” fait tomber la notion de rôle et donc leur attribution genrée.

Il a été évoqué les cours solo de techniques hommes / femmes qui ne sont pas toujours ouverts aux personnes de l’autre sexe, ou alors de manière inélégante (par exemple les cours de techniques de tango hommes mais “femmes acceptées”).

Concernant la durée des cours, la question a été posée du temps nécessaire pour apprendre les deux rôles. Faut-il le double de temps ? Il a été admis que toutes les instructions ne doivent pas forcément être répétées, mais une durée de 1h30 à minima a été préconisée afin de laisser du temps et de la pratique pour intégrer les deux rôles.

Autre particularité de la danse dégenrée, certaines personnes décident d’apprendre l’autre rôle une fois parvenues à un certain niveau dans leur rôle primo. Il est donc frustrant de se retrouver au cours débutant. Il a donc été évoqué la possibilité de créer des cours ou des stages spécifiques “faux débutants”, afin de ne pas mélanger les gens qui débutent et les avancés qui changent de rôle.

Enfin, il a été rappelé l’importance d’expliquer aux débutants les règles du bal dans la pédagogie. Le cours est l’anti-chambre de la danse en bal, et il est important que les élèves sachent qu’ils peuvent dégenrer la danse sociale, et inviter des personnes de même sexe à danser. Mais pour certaines danses comme le tango par exemple, où l’invitation est très codifiée, il est important qu’ils en connaissent les rouages en amont.

Cela peut également être rappelé par les organisateur-ces, à travers des « challenges » lancés en soirée (ex : de danser dans le rôle que l’on n’est pas ou moins habitué à danser) ou encore en le rappelant comme une possibilité dans une charte.

La vie sociale / le bal

L’invitation et le regard des autres
Qu’est ce qui vous met à l’aise / mal à l’aise ?
Quid du switch pendant la danse ?

Prendre des cours dans un rôle ou dans l’autre, c’est fort plaisant et certains en restent là, mais la finalité de nos danses dites sociales, c’est bien d’aller danser en soirée. Et quand on veut dégenrer sa danse en soirée, ce n’est parfois pas sans difficultés…

C’est d’abord la possibilité de faire face à des gens qui sont contre la danse dégenrée, ou d’être mal vu. Certaines personnes ont ainsi le sentiment d’être moins invitées une fois qu’elle ont été étiquetées comme ELF. C’est parfois la marque d’un rejet, ou d’appréhension de la part de danseur-seuses qui sont trop impressionnés par le niveau supposé d’une personne qui maîtrise les deux rôles.

Dans certains cas, danser à contre-genre est assimilé à de l’homosexualité, et mène à un rejet. Plusieurs participants ont fait état d’un problème de générations (reflet de la société), qu’il semble plus compliqué pour des personnes âgées de dégenrer leur danse (ou d’accepter que d’autres le fassent), par peur de la proximité avec les personnes du même sexe.

Il remonte qu’au west coast swing, bon nombre de danseuses ne prennent pas la peine d’inviter une personne du même sexe même si en cours elles dansent ensemble.

Il ressort qu’il n’est pas encore naturel ou commun dans une soirée d’être invité-e dans l’autre rôle, sauf si votre partenaire vous connait ou sait que vous faites les deux rôles.

L’invitation – acceptation ou refus – est un moment déjà complexe en général, et pas spécifiquement pour les danses dégenrées. Mais dans ce cas, il ressort des discussions que :

  • C’est plus facile entre danseur-euses qui font déjà les deux rôles
  • C’est plus facile de danser avec quelqu’un qu’on connait
    la discussion et l’échange arrive plus facilement quand le rôle n’est pas conventionnel, ça permet d’ouvrir la curiosité et les mentalités

La spécificité du tango argentin et son système d’invitation par le regard (cabeceo) a été cité comme exemple où la répartition genrée des rôles a un impact important sur le bal. Dans un système où les hommes/guideurs invitent les femmes/suiveuses d’un échange de regard, comment faire pour inviter une personne en dehors de son rôle genré ?

De nombreuses réflexions à creuser ont vu le jour, autour de la difficulté de bien définir ce que sont effectivement “guider” et “suivre”. Quand on sort de l’idée préconçue que homme=guider=décider et femme=suivre=être passive, on se rend compte qu’un certain nombre d’écueils existent encore, notamment :

  • L’impression que guider est plus important/difficile que suivre
  • L’idée reçue qu’un guideur qui veut suivre n’a qu’à se laisser porter / tomber
  • Un-e suiveuse-eur trop actif, donne l’impression de vouloir guider

Beaucoup d’entre nous n’ont pas pris de cours pour apprendre l’autre rôle, mais peut-on réellement improviser guider et suivre ? Au-delà des pas, avons-nous besoin d’apprendre ce que signifie guider et suivre en danse ?

Certain-es participant-es on fait remonter leur plaisir de danser avec des débutant-es car ils ne sont pas formatés. N’ayant pas pris de cours, ils n’ont pas forcément ou ont souvent moins d’idées préconçues et/ou d’approche « traditionnelle » de comment « devrait être » la danse, ce qui permet donc moins de jugements et de projections.

Il est bon de préciser que “changer de rôle” ne signifie pas nécessairement “danser avec des personnes du même sexe”. D’ailleurs beaucoup de danseur-seuses apprennent un autre rôle mais gardent une configuration homme/femme.

Certain-es participant-es font le constat que guider un homme pour une femme, est un moyen de casser les codes, et aura plus de visibilité au final que deux femmes qui dansent ensemble. Ces dernières pouvant être perçues, non comme un réel choix, mais une solution par dépit en l’absence de partenaires masculins.

Quelles actions et quels outils pour que ça change ?

  • Exprimer clairement le rôle que l’on veut
  • Avoir une charte de la soirée claire sur la danse dégenrée possible
  • Avoir une meilleur visibilité dans l’enseignement et en social

Il ressort des échanges que la danse dégenrée en bal / milieu social est un sujet parmi d’autres, et étroitement lié à d’autres thèmes comme l’invitation, savoir dire non à une danse, respecter les refus, promouvoir la bienveillance…  

Sans surprise, puisqu’on parle de rapport hommes-femmes à travers la danse, plusieurs questions se sont invitées au débat, notamment liées à la sexualisation de la danse.

Est-ce plus facile dans la scène queer ?

Les scènes de danse queer/lbgt se sont montées en parallèle des scènes traditionnelles, pour offrir un espace de danse inclusif et ouvert aux personnes LGBT+ qui désirent danser ensemble. La plupart de ces scènes sont également ouvertes aux personnes hétérosexuelles qui voudraient danser dégenré.

Pour autant, certains participants constatent que les scènes queer ne sont pas exemptes de séduction, qu’au final les gens y invitent aussi majoritairement des personnes correspondant à leur orientation sexuelle, les hommes dansent avec les hommes, et les femmes dansent avec les femmes.

Aussi, pour une scène réellement dégenrée, faudrait-il désexualiser les scènes de danse et promouvoir les soirées “sans séduction” ?

Y a-t-il moins d’ambiguïté à danser avec une personne de même sexe ?

La question a été posée et les avis sont partagés. D’un côté certaines personnes ont témoigné d’une sécurité plus importante en dansant avec une personne de même sexe. Pour d’autres, c’est l’inverse qui s’est produit, notamment quand l’un.e des partenaires n’a jamais été confrontée à la danse avec une personne de même sexe ou a une vision très genrée des rôles de danse.


En conclusion

Nous aurions pu tenir facilement trois heures de plus, mais après 2h45 de discussions, il a fallu se rendre à l’évidence, nous n’avons fait qu’effleurer le sujet, lister les points les plus importants. Ce premier échange était passionnant et nous souhaitons fort qu’il serve de base à une prochaine réunion, afin d’explorer plus en détail certains thèmes.

Un grand merci à toutes les personnes qui ont participé à cette rencontre, pris le temps de réfléchir ensemble et de confronter leurs avis et leurs vécus. Je précise, bien évidemment, que les avis compilés ici sont issus d’une discussion donc : partiels, sujets à interprétations, et que vous êtes bien sûr libres de ne pas être d’accord.