Parmi toutes les danses que je pratique, il y en a une qui me fascine tout particulièrement parce qu’elle est à la fois simple, en trois petits pas, mais également tellement complexe, subtile et parfois difficile.
Depuis sa création, la valse a réussi à infuser dans toutes les communautés de danse, et à créer des styles qui aujourd’hui fonctionnent en parallèle sans jamais se croiser. Chacun croit danser « la » bonne, la vraie version, mais la valse c’est à la fois Sissy et les bals viennois, Yvette Horner et ses bals musettes, ma grand-mère qui me racontait les bals populaires, ma cousine à son mariage, et Shy’m dans Danse avec les stars.
Donc aujourd’hui, je vous propose un petit zoom arrière, pour qu’on passe en revue les différents types de valses, et qu’on en profite pour regarder plein de vidéos.
Une danse très documentée
Il est bon de le rappeler à chaque fois, avec un sujet aussi large et un simple article de blog, il me sera impossible de faire mieux qu’un bref résumé très incomplet. Mais nous avons de la chance, plein de livres, de chercheurs et de spécialistes de l’histoire et de la sociologie qui ont fait ce travail approfondi, et j’espère que vous aurez envie de les découvrir.
Parmi ces auteurs, il y a par exemple Rémi Hess et de ses ouvrages sur la valse et le tango, la famille Guilcher, comme j’en ai parlé dans C’est trad ou c’est folk, ou encore Sophie Jacotot et son « Danser à Paris dans l’entre-deux-guerres : lieux, pratiques et imaginaires des danses de société des Amériques, 1919-1939 ».
Ces auteurs, on les retrouve dans les très bons reportages de France Culture, et notamment la série « Une histoire de la danse », en quatre épisodes, dont « De la valse au tango : une histoire des danses de société » qui raconte fort bien l’influence des bals et notamment de la valse, dans notre construction sociale.
- La valse va symboliser la liberté des peuples
- Elle va incarner un certain abandon des danses de groupes de types quadrilles
- La valse va incarner le couple, l’autonomie, le romantisme
Considérée comme sulfureuse dès ses débuts, la valse sera ensuite dépassée par le tango argentin alors que les corps se rapprochent de plus en plus et font débat chez les défenseurs des bonnes mœurs.
Les origines de la valse
Comme pour de nombreuses danses sociales, les origines de la valse sont assez floues et il y a plusieurs théories, la plus consensuelle place les débuts de la valse au niveau des danses populaires allemandes Tanzlieder des 16e / 17e siècles. Puis, comme le précise l’Encyclopédie Universalis, une autre théorie envisage les origines de la valse à la Volta provençale du 16e siècle.
A partir du milieu du 18e siècle, les danses collectives de la haute société vont progressivement être délaissées, et la valse va petit à petit gagner toutes les sphères de la société, auprès la bourgeoisie jusqu’à la campagne, dans toute l’Europe.
La valse : La danse qui a enlacé le succès
Herodote.net - le média de l'histoire
https://www.herodote.net/La_danse_qui_a_enlace_le_succes-synthese-2436.php
La valse viennoise
La valse est une danse populaire qui va gagner la bourgeoisie. Elle gagne ses lettres de noblesse à Vienne dès le début du 19e siècle, quand les danseurs de salon aristocratique se mettent à la danse de couple. Elle gagne les bals napoléoniens et les plus grands compositeurs lui dédient des œuvres : Schubert, Chopin, Schumann, Liszt, Brahms…
Elle a déjà une réputation sulfureuse et scandaleuse, car elle permet aux partenaires de se rapprocher, de se toucher bien plus que pendant les quadrilles.
Cette valse viennoise n’a jamais disparu, elle est encore très présente en danse sportive, dans les danses de salon, ou tout simplement dans les mariages.
Valse anglaise et danse sportive
En parallèle de la valse viennoise, le Boston, une forme de valse lente à trois temps, se développe aux États Unis. Comme c’est souvent le cas avec la danse, elle finit par revenir en Europe à la fin 19e / début 20e sous un nom différent et fusionne avec la valse anglaise, prenant aussi le nom de valse lente.
La valse viennoise et la valse lente ont toutes les deux intégré le répertoire des danses sportives, dans la liste des danses standard (qui compte aussi le tango, le slow fox trot et le quickstep). La valse lente s’est agrémentée de nombreuses figures et fait désormais partie des cinq danses Standard de la danse sportive.
Alors que la plupart des valses demandent une rotation fluide autour d’un axe (généralement 6 temps pour 1 rotation du couple), la valse lente le déplacement en forme de « feuille » ou en zig zag.
Paris 1900, de la valse tango à la valse musette
Ce qui est incroyable avec la valse, c’est qu’elle est parvenue à toucher toutes les strates de la société. Alors que la haute société danse la valse viennoise, les milieux citadins et ruraux d’Europe et de France s’approprient également la valse, et l’intègrent aux nombreux bals qui fleurissent depuis la Révolution française.
Au début du 20e siècle, dans les bals populaires auvergnats de la capitale, un nouveau genre de bal émerge, c’est le bal musette. La valse y est très populaire, ainsi qu’une version plus sautillée, la java. Les bals sont bondés et on y danse très proches avec des tours rapides. Si le sens du bal est le même que dans les autres bals, en valse musette le couple privilégie le tour à gauche (dans le sens inverse de la valse française donc).
En 2020, l’idée du bal musette peut nous sembler un peu démodée, mais elle est toujours bien vivante dans les nombreux thés dansants qui sont toujours organisés le week-end. A Paris, des bals « néo-musette » sont organisés régulièrement, remettant au goût du jour et donnant un coup de jeune à cette tradition bien française.
Le Paris du début du siècle, c’est aussi le moment où le tango argentin fait son entrée dans les salons. Il a une réputation encore plus sulfureuse que la valse, et vient droit des bordels de Buenos Aires. En gagnant ses lettres de noblesse, le tango subit également l’influence de la valse, jusqu’à l’intégrer, devenant la valse tango qui perdure aujourd’hui.
Pour information, au tango argentin, il y a trois styles de musique distinctifs :
- Le tango, à la fois nom de la danse et de la musique, qui est sur un rythme de marche ;
- La vals, sur un air de valse en trois temps ;
- La milonga, une musique rapide avec un style de danse particulier (et qui est aussi le nom du « bal tango »).
Pour faire simple, la valse tango est une valse, et on entend clairement les trois temps. Le tango étant de la marche, les transferts se font uniquement sur le temps 1, et le 2-3 sert à habiller la danse ou peuvent être utilisés comme contretemps.
La valse française des bals folk
En bal folk, la valse est l’une des quatre grandes danses de couple issues des danses de salon du début du siècle qui se sont transformées et ont infusé dans la société traditionnelle. Si la valse a toujours fait partie du répertoire des bals de village, depuis le revival des années 70, elle est l’une des danses incontournables du bal folk généraliste aux côtés de la polka, la scottish et la mazurka.
Comme le bal folk est un milieu de création important, au 20e et 21e siècle les musiciens continuent de composer de nombreuses valses à danser.
La valse trois temps folk est assez proche de la valse musette, se déclinant à toutes les vitesses, et assez libre de posture et d’interprétation.
Les valses asymétriques
A priori les valses asymétriques ne datent pas d’hier, et elles seraient apparues à peu près en même temps que la valse mais n’auraient pas gagné en popularité. C’est un sujet pour lequel je n’ai pas encore trouvé beaucoup de sources et qu’il faudra bien sûr creuser.
Les valses asymétriques sont encore très présentes dans l’univers du bal folk, et c’est là qu’on va retrouver le plus de valses 5 temps, 8 temps, 11 temps, voire même des versions aléatoires, permettant une grande liberté d’improvisation.
Musicalement, les valses asymétriques ne se différencient d’une valse 3 temps que par la rythmique. Pour les reconnaître, il n’y a pas d’autres solution que de savoir comment compter les temps et écouter la musique.
Les valses chorégraphiées
Pendant tout le 18e et le 19e siècle, les flux d’immigration ont diffusé la valse dans le monde entier, prenant parfois des formes spécifiques en se mixant à des quadrilles ou à des danses traditionnelles locales.
On trouve ainsi des formes de valse chorégraphiées, où la partie tournée est une composante de la danse, à la suite d’autres variations : pastourelles, pas de cotés, sautillements, chaînes… On peut par exemple citer la valse écossaise, la valse irlandaise, la valse mexicaine, la valse des roses…
Pour beaucoup, la valse s’est mixée avec des postures locales, comme en Suède où elle se danse en position que j’appelle « égalitaire ».
Aujourd’hui, la forme particulière de la Stegvals est présentée comme LA valse suédoise. En réalité, il s’agit simplement d’une variante locale, probablement popularisée et modifiée par les danseurs de bal folk.
Ce processus de récupération d’une danse dans un pays, de transformation et réintégration dans les bals folks européens sont un phénomène dont on a un peu parlé dans l’article C’est trad ou c’est folk.
Simple ou difficile ?
Disons-le, danser la valse – quelle que soit sa version – est faussement simple. La musique nous est familière, et il n’y a globalement « que » trois pas.
En vérité, même si au bal folk on nous baratine avec la difficulté de la mazurka, beaucoup de danseurs viennent me voir un peu honteux « moi en fait, je me galère un peu avec la valse. »
Disons-le haut et fort, oui moi aussi j’ai galéré en valse.
Les principales difficultés de la valse 3 temps en bal folk
Concentrons-nous sur la valse telle qu’on la danse aujourd’hui au bal folk (celle que je connais le mieux). Selon moi, les principales difficultés de la valse 3 temps (et c’est pire avec les valses asymétriques) sont les suivantes :
- La rapidité des pas
- La répétitivité des pas
- La mélodie parfois plus lente que le rythme
- La difficulté parfois d’entendre le rythme
- Tourner de manière fluide
Le gros défaut de certains débutants au folk, c’est parfois cette idée qu’il faut « valser », aka faire de grands mouvements tournés de valse viennoise en parcourant la salle. Les valses folks ont un rythme trop rapide, et ça ne marche pas quand on n’est pas en mesure de faire bouger ses pieds assez vite. Si vous avez l’impression de ne pas y arriver, c’est bien souvent que vous ne bougez pas les pieds correctement sur le rythme.
Apprendre à danser la valse par étapes :
- Étape 1 : mettre de la musique et marquer le rythme (avec des petits piétinements) sur place,
- Étape 2 : réussir à le faire en couple,
- Étape 3 : réussir à faire une rotation du couple sur place,
- Étape 4 : se déplacer dans la salle.
Une question de vitesse
Bouger ses pieds assez vite, c’est la règle n°1 de la valse. Sur une valse « classique », on a généralement tendance à bouger ses pieds trop lentement. Sur une valse « lente », c’est l’inverse 95% des gens n’arrivent pas à ralentir suffisamment.
Il faut le dire : ralentir, c’est souvent plus difficile que d’accélérer. D’autant que la valse est trompeuse, la mélodie peut être douce et romantique, mais le rythme rapide.
Le sens du bal
Car oui, disons le bien, pour tous les types de valse il y a la notion de déplacement, le fameux sens du bal. Même en bal folk, oui.
Le sens du bal signifie que les couples se suivent (sans trop se doubler) et effectuent une rotation dans la salle. Les plus rapides passent par l’extérieur, les moins rapides se concentrent à l’intérieur pour ne pas boucher le chemin.
Récapitulons, la valse c’est :
- La rotation du couple sur lui-même (dans un sens ou dans l’autre)
- La rotation du couple dans la salle (sens du bal, contraire aux aiguilles d’une montre)
Ça va peut-être vous étonner, mais au folk le sens du bal existe pour toutes les danses de couple, la mazurka, la scottish et la polka !
Faire tourner le couple sur lui-même et dans la salle n’est pas une chose aisée, et on retrouve beaucoup de couples qui font du sur-place ou des trajectoires « en essuie-glace » (de gauche à droite). Au bal folk, on aime bien les tours bien ronds et fluides, et comme une image est plus parlante que 1000 mots, je vous ai concocté une petite vidéo explicative.
Coguider pour mieux tourner
Quand j’enseigne la valse aux débutants, je me retrouve généralement à montrer la position égalitaire, celle qu’on retrouve beaucoup dans les danses suédoises (et notamment quand ils dansent la valse suédoise) et au coguidage.
Cette position a plusieurs avantages, notamment elle donne une bonne posture pour la rotation, c’est à dire en gardant les épaules des danseurs parallèles. La plupart des débutants vont avoir tendance à trop ouvrir le couple, en faisant un V. Dans cette position c’est beaucoup plus compliqué d’arriver à un tour bien fluide bien rond.
La position égalitaire est également excellente pour utiliser la force centrifuge du couple et pouvoir accélérer ou ralentir la rotation à loisir.
La valse folk est une bonne opportunité de se mettre au coguidage, c’est à dire n’avoir ni guideur.euse, ni suiveur.euse, seulement l’objectif commun de se déplacer dans la salle (dans le sens du bal donc).
Animer sa valse
La valse toute simple dans sa rotation peut sembler monotone. La plupart des danseurs d’ailleurs, s’installent dans une rotation fluide et uniforme, avec une connexion confortable, et s’appliquent à faire le tour de la salle.
Pour ma part, c’est déjà parfait. Si tout le monde savait à minima faire ça, ce serait merveilleux.
Certains danseurs auront envie de mettre un peu de piment dans cette valse. C’est particulièrement intéressant quand c’est la musique qui vous emporte et que vous avez envie de l’interpréter avec des variations.
Il est possible de sortir tout l’arsenal des variantes du type pastourelle, figures de salsa, de tango et tout le tralala, en fonction de ce que vous inspire la musique. Pour ma part avec le recul, je pense que c’est dommage de se priver du confort de la rotation du couple. Je vais donc privilégier les variations rythmiques, les changements de sens et changements d’axes du couple.
Cet article vous aura peut-être semblé long, et je vous remercie d’être arrivés jusqu’ici. Si le sujet me passionne, c’est que j’ADORE la valse, et particulièrement la guider et la coguider. Danser proprement la valse, c’est un peu la base de tout danseur qui se respecte, et je ne saurais que vous inciter à profiter de cette splendide danse.
Photo de couverture : La valse. Le bon geste• Crédits : Fine Art Images/Heritage Image – Getty