Eric Esquivel / Flickr

Danseuses de lindy, arrêtez de chercher des leaders SVP

C’est la fin de la saison des cours en lindy hop. Comment je le sais ? Le réseau social qui commence par un f regorge d’annonces de demoiselles en détresses à la recherche d’un leader pour la rentrée de septembre. Et pour cause, si en juin tu ne te réinscris pas au cours de swing de la rentrée avec un partenaire, tu es sûre de pointer sur la liste d’attente en septembre, quand tous les bons -et même les moins bons- seront pris.

Et ce n’est pas qu’un phénomène saisonnier ! Toute l’année j’en vois passer des annonces de recherche de cavaliers pour n’importe lequel des festivals c’est la panique. Une problématique qui à ma connaissance arrive au beaucoup au lindy et au tango, mais sachez le…. beaucoup moins dans les autres danses.

Ce phénomène est révélateur de plusieurs choses, à commencer par la popularité du lindy hop qui va en grandissant et qui commence à être un peu en tension. C’est aussi le signe que la construction sociale qui assigne les rôles au sexe est encore bien présente, alors que dans le discours beaucoup de danseurs affirment avoir une approche dégenrée, je pense que dans la réalité ce n’est pas vraiment le cas.

Comment j’ai mis 4 ans à démarrer le lindy

J’ai commencé le lindy en septembre dernier, après 4 ans à hésiter pour une simple et bonne raison : je n’avais pas de partenaire. Je n’osais pas poser d’annonce et m’engager dans un cours continu avec un inconnu. Mes amis ne voulaient pas apprendre le lindy, ou n’étaient pas disponibles les mêmes jours que moi. Et je n’étais pas capable d’avoir la vision claire en juin, de ce que serait mon emploi du temps en septembre.

Un problème que je connais bien, car j’avais eu les mêmes difficultés au moment de commencer le tango argentin.

Apprendre à guider c’est aussi apprendre à suivre

Le raccourci est assez facile à dire, on sait bien que les hommes qui guident ne savent pas pour autant suivre, mais moi c’est ce que je fais depuis 8 mois. Parce que ce qui compte, ce n’est pas l’apprentissage qu’on suit, mais l’état d’esprit dans lequel on se met.

Si je suis des cours en guideuse avec l’idée que mon savoir va aussi m’apprendre à suivre, alors ça marche.

En septembre dernier, je me suis donc inscrite en lead dans un cours de lindy avec une copine comme follow. C’était un cours “normal”, pas spécialement destiné à nous faire apprendre les deux rôles. Pas du tout un cours qui promeut le switch, ni dans le discours, ni dans l’organisation. Un cours hétéro-normatif comme il en existe des centaines. Un cours dont je ne suis pas sûre d’adhérer à 100% parce que justement, il perpétue l’idée classique que les filles doivent suivre et les garçons doivent guider, et qu’on est capable d’apprendre uniquement un seul rôle à la fois.

Notez que je n’en veux pas aux profs de ne pas promouvoir la danse dégenrée. Ils ne sont pas contre, c’est juste qu’ils n’y pensent pas. Ca ne fait pas partie de leur propre pratique, donc ils ne l’incluent pas dans leur pédagogie même si ils ne s’y opposent pas. Sauf que voila, les mentalités évoluent uniquement si on montre l’exemple et qu’on adapte sa pédagogie en conséquence. Sinon on forme des hordes de gens qui vont mettre 5 ans, 10 ans, à se dire que peut-être, ils pourraient changer de rôle pour voir comment ça fait.
Promouvoir par l’exemple, comme les Decavitas

Sauf que pour des profs, ne cachons pas la réalité financière qui paie la salle et récompense le travail  : s’il n’y a pas assez d’hommes, il y a moins de couples, et donc moins d’élèves. Et quand on accepte trop de filles, il y a un déséquilibre.

Très vite, ma coéquipière s’est aussi mise à guider, les filles sont en minorité et nous, nous guidons déjà dans les autres danses.

Pendant plusieurs semaines notre système a été le suivant : je guide et quand elle a finit son tour et que nos chemins se croisent, nous échangeons de rôle.

C’est faisable. Ça ne demande pas de compétence particulière à part un minimum de coordination pour faire les pas en miroir. En 3 leçons vous avez pris l’habitude. Ça ne demande même pas une validation particulière du prof ou une organisation de sa part.

Aujourd’hui je vais en soirée et je peux danser partout, avec ou sans cavalier. La principale difficulté est d’inviter des inconnu.e.s à danser et de se confronter encore et toujours au “tu fais l’homme ?”. Non, je guide. Et quand je veux, je suis.

Pourquoi ça me peine de voir une fille de niveau avancé recruter un partenaire sur les réseaux sociaux ? Parce que cette règle sociale stupide nous freine nous les filles alors qu’on est là pour danser.

Parce qu’elle progresserait aussi dans son suivi en prenant des cours en guideuse.  Parce que si tout le monde faisait ça, on en serait pas là. Parce que dans d’autres danses, ce problème de parité à tout prix n’existe pas (coucou la danse folk et le blues dancing). Parce que les hommes seraient de meilleurs guideurs s’ils apprenaient aussi à suivre. Parce que la semaine dernière un danseur de lindy m’a fait remarquer qu’il ne pourrait jamais demander à un autre homme de le guider parce que, je cite, « il n’est pas homo ».

On est en 2018. Il est temps de faire tomber les clichés et nous prendre en main.